Il s’agissait de raconter une histoire en trois mouvements, en étant guidé à chaque étape par une phrase d’un auteur connu.

Les 3 phrases

Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi.
L’amant de Marguerite Duras

M. Vincent était archiviste à la préfecture et c’était un ami de l’oncle Jules, il passait ses vacances au village, où il était né.
La gloire de mon père de Marcel Pagnol

Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l’orphelinat de Jules l’Apostolique.
L’écume des jours de Boris Vian


Lysiane DEMOMENT

Monsieur Vincent était archiviste à la préfecture et c’était un ami de l’oncle Jules. Il passait ses vacances au village où il était né ; l’homme était austère. Inutile de préciser qu’il vivait seul, authentique rond de cuir de la préfectorale.
En 1936, les années dites folles étaient déjà bien loin. La crise économique pointait son nez. La tenue vestimentaire de ce célibataire endurcit tenait à la fois de l’élégance et de la rigueur des temps difficiles. Pour la première fois, Monsieur Vincent avait donc des congés payés. Son village rural s’était transformé en petit bourg de province. Les champs de blé de son enfance avait fait place aux terrils. Les mines et la silicose sont plus attractives que les labours et les moissons. Autres temps, autres peines. L’Oncle Jules était riche encore cette année-là et pour se donner bonne conscience, il était le tuteur de l’orphelinat de la région. C’était le seul qui possédait une automobile. La fierté du bourg ! Mais Monsieur Vincent s’ennuie. Revenir habiter chez sa mère ! Même pour quelques jours ! À son âge…

Pour Monsieur Vincent, sa jeunesse se fut 14-18 et les tranchées. Quand l’amnistie a été signée, il était resté à Paris. Un moment, il avait même laissé croire qu’il était mort sur le champ de bataille pour mener une autre vie. Il avait espéré un temps se faire des amis. Il avait appris à se taire. Déjà avant-guerre, il n’avait pas de père et les villageois n’étaient pas tendres avec le Bâtard. La solitude, c’était sa seconde peau, sa carapace, son blindage.
Il était en promenade au parc, assis sous un chêne ancestral, quand il lui apparut qu’il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l’orphelinat de Jules l’Apostolique. La plus grande du groupe lui sourit. De ses yeux jaillit une lumière que lui seul vit ; il l’a deviné dans un avenir de femme qu’elle n’était pas encore. Elles marchèrent jusqu’à l’église.
Monsieur Vincent est rentré dans l’édifice religieux. Un rayon de soleil traversait les vitraux, il est venu se poser sur les cheveux de la belle innocente. L’image devint icône.
Monsieur Vincent s’est mis à rêver.
Monsieur Vincent faisait tourner et retourner ses mains au rythme de la prière que lui seul connaissait.
Monsieur Vincent suppliait son corps, ses jambes, son âme.

Il était très tard quand Monsieur Vincent est rentré chez sa mère. Marguerite n’a jamais été retrouvée ; Qui aurait pu se soucier d’une orpheline aveugle ?
Monsieur Vincent reprit son travail dans le gris de sa vie. Quelques années suivantes, il a été contraint d’orner son veston d’une étoile de tissus jaune. Un matin de 1942 de jeunes soldats allemands l’ont fait monter à coup de crosse dans un wagon puant. Dans le camp, il s’est montré le plus fort. Il a soigné, aidé, réconforté les plus faibles. Au printemps 1943, il s’est évadé avec plusieurs de ses amis de combat, et rejoint la résistance. Il a sauvé des vies. Son courage et sa force forçait le respect de Tous. À la libération, il a été décoré pour sa bravoure et son héroïsme. Au héros, la Patrie reconnaissante.

Monsieur Vincent ? Oui ! Je m’en souviens comme si c’était hier, Un jour, j’étais âgée déjà dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il prenait le dernier train de nuit pour retourner dans son village natal. Il voulait retourner dans sa maison pour y mourir en paix. On s’est assis côte à côte dans le premier wagon. Il m’a raconté sa vie d’un seul trait puis il s’est endormi comme un enfant. Lorsque le train s’est arrêté le long du quai, son corps était déjà froid.

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Cécile de GAUDEMAR-INVERNIZZI
LA SALAMANDRE

Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. J’ai d’abord cru qu’il voulait me demander quelque chose. Il avait l’air perdu avec ses grands yeux bleus pervenche qui balayaient du regard l’anonymat de ce hall immense d’exposition de peintures. Sa peau mate, légèrement cuivrée dégageait un visage rond, aux traits fins sur un grand corps svelte… La lumière vive des verrières rendait les gens beaux. Timide, Il s’approcha de moi, plongea juste un instant son regard dans le mien, esquissa un sourire en me tendant avec courtoisie un pamphlet. Puis à brûle pourpoint me dit: « Tenez, prenez-le, je vous l’offre, je n’ai pas le temps d’attendre, il faut que je m’en aille, je n’en ai donc plus besoin. C’est le repérage des différents lieux de l’exposition, en même temps que les noms et dates des tableaux exposés par l’artiste. C’est vraiment intéressant, vous verrez, vous profiterez mieux des œuvres et vous comprendrez mieux le cheminement du peintre dans ses différentes périodes. De plus cela vous évitera de le payer et de faire la queue pour l’obtenir ». Je n’eus pas même le temps de le remercier qu’il avait déjà tourné les talons. Je restais figée sur place comme deux ronds de flan sur une soucoupe. Ce Dandy très chic portait un costume bien taillé, gris perlé, avec sur la poche droite du veston, discrètement épinglé, un bijou doré à la place du mouchoir. La finesse du travail de ciselage à l’or fin semblait dessiner un lézard mais à y regarder de plus près, le travail d’orfèvrerie était tel que son éclat et son relief qui scintillaient à la lumière intense du soleil me fit penser à une salamandre. Ce bijou me fascina au point d’en devenir une sorte d’obsession! Le travail de mémoire fit alors son chemin.

L’air marin entre par les fenêtres. Un concert de senteurs se dilue dans l’atmosphère qui, mêlées aux embruns, m’enivre. Le ciel est bleu, le soleil rouge, l’air brûlant, la lumière intense. La stridence des cigales perce le calme des jardins en terrasse et accompagne les trilles de nombreux oiseaux. L’exotisme de plantes grasses géantes et sculpturales s’élèvent de la terre vers le ciel: agaves aux feuilles dentelées et ourlées, acanthes orangées, bleus des agapanthes, blancs des arums. Tout exhale un parfum d’été. Des jeunes pousses grisâtres de feuilles et boules d’eucalyptus, aux parfums miellés des pittosporums. Des géraniums odorants rouges et roses aux bouquets de dahlias et de roses qui rivalisent les unes les autres par leur port noble et leur suc odorant… Les rires crépitent sur le chemin rocailleux. Il fait beau et chaud. Je suis bien. Un peu plus loin ça sent bon le thym, le romarin, le myrte, le lentisque, le genévrier qui distillent leurs fragrances dans l’air surchauffé de la garrigue. Une langueur agréable court dans mes membres. Les paréos multicolores que portent femmes et hommes volent au vent léger et font écho aux cliquetis des voiles de bateaux alignés à quai sur le port. Les goélands planent en riant au dessus de cette marée de nature en explosion. Leurs chants d’amour se mêlent aux brises marines. Je cueille l’écume dorée des jours sur cette île d’or et de lumière. J’ai trente ans passé. L’œil brille, l’atmosphère excite, le sang fuse dans les veines. Je descends le val de l’Aiguade qui descend à la mer. L’eau d’un vert bleuté flambe. Je m’assois sur une large pierre du solarium des pierres plates. Transportée par la beauté et la force du moment, la magie du lieu opère. Je dénoue mon maillot et m’offre à cette légère brise qui rend de la douceur à l’air. Je plonge dans la mer turquoise si limpide que j’y vois les bancs de poissons blancs passer comme en survol et des poissons colorés partagés entre la crainte et la curiosité sauter entre les boules de fibres enchevêtrées, les pelotes de mer ou posidonies roulées par les eaux sur le sable et les rochers. J’aperçois d’innombrables oursins. Avec masque, tuba et palmes j’avance tranquillement sous l’eau, contemple le spectacle vivant et magique qui s’anime sous mes yeux, crustacés, mollusques, daurades, loups, pagres et raies; s’échappent de leur refuge pour aussitôt y retourner, troublés par ma présence. Quelle vie extraordinaire sous marine s’agite dans les bas-fonds entre plateau taillé de marmites et gorges bordées de tombants, quelle géographie! Une sorte de causse en plus fertile! Je resterais des heures sous l’eau si la fatigue ne me faisait pas remonter à la surface! Je m’allonge me repose, bercée par la musique du clapotis des vagues contre les rochers, encore hébétée de ce rare spectacle ! Je somnole, m’assoupis.

Quelqu’un s’approche de moi, pose sa main délicate sur les bombés de mes formes. Des doigts légers comme un souffle effleurent mes lèvres, frôlent mon corps en tâtonnant ; c’est à peine si je sens la bise légère du vent qui s’y enroule. Les parfums se mélangent à l’iode, les frissons parcourent la surface de ma peau, le sel la mer, la grâce des mouvements à fleur de peau se confondent s’appellent, se répondent et se marient. Le corps est entre deux eaux de la mer et du désir. J’exulte…Je suis sirène, corps paysage, vallées et vallons, courbes du dos et des fesses, cambrure des reins, canyons et failles liquides, couloir du cou, mélange des muscs, je succombe, la respiration s’accélère, la tension gonfle les veines, fait palpiter le cœur, un courant électrique parcourt de part en part toute la surface du corps, dedans et dehors, corps à corps mutant en cœur à cœur, puis les yeux clos c’est l’abandon au plaisir des mouvements croissants, embellissant, croisant l’unisson de l’air, de l’eau, de la terre et du feu. Bientôt, la chanson marine n’est plus qu’intensité et unique vague en mille frissons. Je remonte le val de l’Ayguade jusqu’à la Palmeraie, à mi chemin entre le port et la place du village, où je vis et travaille.

Une salamandre venait tous les soirs s’agripper sur le mur central de pierres de notre restaurant. Je l’avais adoptée, jamais je ne la chassais. Porte bonheur, elle était promesse de soirées de travail réussies. Jamais je ne sus d’où elle émergeait ni où elle disparaissait car elle ne venait nous rendre visite que le soir. Il m’était impossible de dénicher où était sa cachette. J’avais beau faire la culbute ou le poirier, nettoyer de fond en comble la salle, aspirer tous les trous et anfractuosités des murs au plafond, il m’était impossible de dénicher sa cachette, une fois disparue dans le mur de pierres. Sosie du lézard, la salamandre restait introuvable. Il devait pourtant bien y avoir une solution pour la trouver! Une grotte, un interstice entre les pierres ou dans le bois! L’apparition de cet animal étrange m’intriguait d’autant plus que n’en ayant jamais vu auparavant, je n’étais pas sûre que cela en soit une et, fait notable, elle apparaissait toujours à la tombée de la nuit au moment où j’allumais les lumières et où la salle de restaurant était pleine de clients! Il fallait que je me renseigne sur la vie des salamandres. Pourquoi n’apparaissait-elle qu’au crépuscule? Était-elle sensible aux nectars de la profusion de fleurs environnant notre restaurant et aux fumets des plats préparés en cuisine? Étaient-elles toutes pareilles physiquement? Je ne connaissais rien sur cet animal. Sa présence nocturne quotidienne me donnait envie d’en savoir plus sur elle, sa famille, son milieu… La seule chose qui me venait à l’esprit à ce moment là était le film intitulé « la salamandre « , réalisé en 1970 par Alain Tanner avec Bulle Ogier, Jean Luc Bideau et Jacques Denis dans les rôles principaux, que j’avais beaucoup aimé. Ce film traite de la relation entre le journaliste et la réalité de son sujet, de la notion de vérité et de partialité de l’information lors de la retransmission écrite d’un fait divers. Il y a toujours une partie qui nous échappe, quand on veut raconter un événement, l’objectivité n’existe pas car nous racontons toujours les choses à partir de notre angle de vue et avec notre propre subjectivité au même titre que cette belle salamandre m’échappait sans arrêt quand je décidais de la chercher!
Un jour ou plutôt un soir, vint diner chez nous, au restaurant la Palmeraie, Monsieur Vincent qui était archiviste à la préfecture et l’ami de l’oncle Jules. Il passait ses vacances au village où il était né. Monsieur Vincent, personnage drôle et sympathique avait la figure joviale et des petits yeux noirs pétillants de malice. Toujours vêtu d’un short bleu ou gris, d’une chemisette bleu ou blanche qui laissait entrevoir ses poils noirs grisonnant sur la poitrine il portait des chaussettes de laine rouges qui montaient jusqu’aux genoux sur des baskets rouges et bleues! cela me faisait rire! Quand je lui demandais pourquoi il portait des chaussettes il me répondait que c’est toujours par les pieds qu’on attrape froid ou du mal et qu’il fallait se méfier de l’humidité du soir dans laquelle baigne l’île, même l’été!

Ce soir-là, alors qu’il était en train de déguster son entrée de jambon rouge de Parme – melon de Cavaillon je lui fis part de mes questionnements autour de cet animal qui venait nous rendre visite tous les soirs! Quand tout à coup Mademoiselle Salamandre fit paraître le bout de sa queue, lézardant, se prélassant, languissante le long du mur blanc!

– Regardez, Monsieur Vincent! La voilà qui vient nous dire Bonsoir! Ah oui! oh! oh! Mais c’est qu’elle est ravissante! Mais c’est une vraie salamandre ça! Dites-moi, vous avez parfaitement raison! S’exclama-t-il! Savez vous que c’est seulement dans les maisons du bonheur que les salamandres se refugient ?

– Ah non je l’ignorais, mais cela me fait bien plaisir! Il donnait ainsi une connotation ésotérique à la présence incongrue, chez nous, de ce drôle de vivipare qui n’était pas pour me déplaire! À ce propos, j’aimerais bien en savoir plus sur ce bel animal si mystérieux! Les connaissez-vous? En avez-vous déjà vu ailleurs qu’ici ? Savez vous de quoi elles se nourrissent? Quel est leur milieu de vie? Comment se reproduisent elles? Est ce un animal protégé? Combien de temps vivent elles? Je l’assenais de questions auxquelles il ne savait pas quoi répondre! Il me regardait l’air un peu contrit mais avec un grand sourire! -Non, mais vous qui avez l’esprit curieux d’une chercheuse vous allez le découvrir très vite, je suis sur! Je vous fais confiance!

C’est alors que je lui demandais la possibilité d’avoir accès aux archives régionales sur la faune et la flore des trois îles d’or de Hyères ainsi qu’à celles du conservatoire botanique de Port Cros, ce qu’il accepta volontiers avec un plaisir non dissimulé que je perçus dans l’étincelle de ses yeux et le léger mouvement de sa fossette sur la joue gauche qui donnait à son sourire un éclat singulier de fierté.

J’apprenais de cette façon que la salamandre est un petit animal terrestre et aquatique, petit amphibien urodèle (ce qui veut dire que sa queue subsiste après la métamorphose) et vivipare. Elle ne peut pas se confondre avec le lézard parce qu’elle est dodue, brillante et en général de couleur noire tachetée de jaune avec un dessin sur le dos. Sauf que celle de la Palmeraie était translucide de couleur beige, très brillante avec effectivement une sorte de tatouage sur le dos jaune et noir. Sa peau fine est constituée de plusieurs couches, la couche superficielle tombe tous les mois au moment de la mue. Elle commence à se détacher prés de la bouche et glisse ensuite le long du corps. Ses quatre pattes sont pourvues de doigts, quatre sur les mains, cinq sur les pieds. Elle se nourrit de mollusques, de vers de terre et d’insectes…Son odorat très développé lui permet de dénicher sa proie hors de sa vision, située à quelques mètres d’elle. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle se soit refugiée chez nous où la cuisine très fine que concoctait notre chef cuisinier dégageait des parfums suaves en attirant que de fins gourmets!

Elle mesure en moyenne de douze à vingt centimètres. La notre, plus petite, devait mesurer une dizaine de centimètres! Elle vit environ 25 ans! La saison des amours correspond aux deux saisons que je préfère où nous habitons sur l’île, du début du printemps à la fin de l’été! Le male va se placer sous elle, elle se retrouve alors sur le dos et par frottement le male va émettre des spermatozoïdes regroupés en spermatophore que la femelle va absorber grâce à son cloaque. L’accouplement dure entre quinze et trente minutes et la fécondation est interne. La naissance a souvent lieu après hibernation, en mars ! Elle aime surtout sortir la nuit et après les pluies orageuses quand les effluves de la terre mouillée remontent et embaument l’atmosphère. C’est un animal en voie de disparition à cause de la pollution de l’industrie, des voitures et du déboisement. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle se soit réfugiée sur notre île ou il n’y a ni voiture ni usine et où la nature est luxuriante! Selon une croyance ancienne, la salamandre vivait dans le feu et était incombustible!

Cet animal étrange et relativement rare, que je perd le jour et retrouve la nuit devient pour moi un symbole, un grigri, mon porte bonheur qui éloigne le mauvais œil: il me fait plaisir d’imaginer, comme le prône la religion bouddhiste, qu’elle est la réincarnation sur terre de ma Mère, tant aimée, disparue depuis peu. Ainsi, après documentation trouvée au conservatoire botanique du Parc national de Port Cros, dont l’accès fut possible grâce aux chaleureuses recommandations de Monsieur Vincent, je découvrais qu’il s’agissait de la cousine de la salamandre qui n’existe que dans ces îles d’Hyères et en Corse. Il s’agit de l’Hemidactyle (Hemidactylus Turcicus) de la famille des geckonidés, nom scientifique donné aux salamandres. Il vit sous les pierres, les écorces d’arbre, jusque dans nos maisons. Il a le dos brun, rougeâtre avec des pustules blanches et brunes. Ses doigts portent de longues griffes. Sa taille atteint 10 centimètres. Il prend une teinte laiteuse à l’obscurité, ce qui explique la couleur translucide de la mienne! Il est très rapide et agile. Très attiré par les lampes allumées, Il se nourrit de mouches, moustiques et araignées et émet des sons. Son habitat se limite aux îles d’Hyères et à une large frange côtière. Mon grigri porte bonheur de belles soirées réussies était belle et bien une salamandre. J’étais si contente de ma recherche que pour remercier Monsieur Vincent je l’invitais le lendemain, toute excitée de lui exposer l’objet de mes découvertes!

Le lendemain soir, assise sur le puits, à l’ombre des palmiers et des eucalyptus, je l’attendais en rêvassant aux corneilles. Je le vis arriver de loin avec le rouge de ses chaussettes et en même temps que lui, derrière, il venait en chantant, onze petites filles aveugles de l’orphelinat de Jules l’Apostolique.

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F. VINCENT

Un jour, j’étais âgée déjà, dans un hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi tout vêtu d’ombre en ce samedi de septembre. Comme une lame au flanc du pain bis, son regard d’ébène me pénétra. J’ai regardé la foule, le sol, et puis, lui. Ses mots se frayèrent ensuite un chemin dans l’allure vraie des choses. Sous la cendreuse verrière, de ses paroles, je compris qu’il était venu à la demande d’un autre, d’autres, enfin… de quelqu’un. L’automne se hasardait en aubes mordorées où la nostalgie s’enroulait comme les feuilles en farandole à la lisière de l’arbre.

« Mon nom ne vous dira sans doute rien, je suis un ami de M » Dans la brume de mes souvenirs ce prénom resplendissait comme un soleil automnal. Silence contenu. Des plis minuscules fripaient ses paupières alourdies cherchant mon regard à la dérobée. Sur le sol, une poussière tournait en rond elle aussi.
« Il est mort après des mois de douleur et de solitude » La nuit craque soudain dans ce hall lumineux auparavant. Il se taisait, je ne pouvais parler. Le silence nous liait contraints d’y cheminer ensemble sous le même joug. La tristesse en bandoulière.

« Je savais votre nom, Vincent, tout de suite j’ai pensé à celui d’un familier. Mr Vincent était archiviste à la préfecture et c’était un ami de l’oncle Jules, il passait ses vacances au village où il était né. Gonflé d’importance, l’oncle Jules me conduisit dans l’austère bâtiment public où le préfet fait et défait les circulaires sur la circulation. À Aubagne, c’est un jeudi agité. Le jeudi c’était le jour de grand marché et la ville prenait ces choses très au sérieux. Comme la mission que m’avait confiée l’ami moribond. À l’écoute de ma requête, l’archiviste disparut dans le dédale des étagères au garde-à-vous, sa moustache reparut dominant des documents sépia.

Je sus par cet homme que M, un dimanche avait rencontré sa femme et qu’il la trouva si jolie à cette foire aux livres, qu’il l’épousa pour écrire d’autres chapitres, dans l’oubli apparent de son passé antérieur. Mais le passé simple nous rappelle ses complications quand la santé se conjugue à l’imparfait. M sentit le futur se rétrécir comme le soir de novembre quand l’avenir se fit verbe défectif. Très vite, à l’abécédaire de sa destinée, il avait su lire, sans jamais l’avoir appris.

« Alors, me dit l’homme, les renseignements dudit Vincent sur sa lointaine parenté, me permirent de vous retrouver jusque dans notre Provence. À l’encre des nuits douloureuses, le souvenir de vous «sa Muse du Pilat» brillait comme les facettes d’un diamant. Je suis chargé de vous informer aussi qu’il vous a couchée sur son testament, vous héritez d’une somme appréciable »
L’homme de sa pesante démarche repartit au train de 17h17, me laissant à ma stupéfaction et à mon chagrin. Le montant du chèque établi par Maître de Saint Martin me brûla le cœur autant que les doigts. L’argent est-ce le temps me demandais-je au soir de cet héritage tombé du ciel ?

« On perd tellement de temps à faire des choses qui usent » que je tentais de le récupérer au Service des objets trouvés. « Du temps, me dit l’employé, lui-même un peu perdu, personne ne vient le rapporter ». Alors ma souris a bien voulu taper « temps » dans Google. Elle vit qu’un certain Proust était aussi « À la recherche du temps perdu ». Je décidai de trouver le présent après cette « chronique d’une mort annoncée ». Je compte tant de printemps de poètes, que je devais de suite me rendre aux Urgences de vivre ! Là-bas un goutte-à-goutte de bulles de savon enfin vivre heureux, me fut administré. Ils s’élevaient, ces postillons d’écume des jours heureux dans le ciel en paroles d’un soleil irisé. Je troquais le blues et même la blouse d’infirmière contre le bleu de l’azur.
Mes pensées mousseuses tutoyèrent des sphères célestes, se faire généreuse modestement. Je m’adressais aux saints plutôt qu’au Bon Dieu car je préférais les petites mains pour leur confier mon obole en bulles de générosité. Une bonne action pour les paralytiques n’était-ce pas bon mouvement ?
Je choisis ensuite d’aider les enfants sans père et sans reproche et même sans mère avec du vague à l’âme. Dans la chapelle où le Père sévère continuait d’officier, Jésus paraissait heureux sur sa croix de bois. Le chèque ne l’était pas, l’encaissèrent les religieux alors.

 Ledit «vin de messe » me donna l’ivresse de l’Au-delà et l’odeur de sainteté, quand les fumerolles d’encens envahirent la chapelle. Rien ne vaut la vie, rien ne vaut la vue psalmodièrent les Anges clairvoyants.

Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles à l’orphelinat de Jules l’Apostolique.

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